Chien de la casse

Trigger warning : Violence


Le lion, fier et bien fringué, marchait droit devant lui. Il devait ce rendre sans attendre à son rendez-vous dans cet immeuble de l’autre coté de la rue. Il était déjà en train de se préparer psychologiquement lorsqu’une voix vint interrompre sa méditation.

« −Vous auriez pas une petite pièce ?

− Va crever, salope ! »

Le lion, fier, mis un grand coup de pied dans ce parasite sur le bord du trottoir puis repris sa route en se recoiffant soigneusement.

Voilà. C’est tout. C’est la plus grande attention que quiconque me donnera aujourd’hui en dehors des autres « parasite ». Non, le lion, fier et droit, riche sans doute aussi, n’est pas le personnage principal de cet histoire. Même si la sienne doit être bien plus intéressante, argent, femmes, réussite sociale. Une voiture, une maison. Pas ici. Jamais. Ici il n’y a que la crasse, l’odeur de pisse et le mépris de ses semblables. Et encore, je suis pas trop mal ici : j’ai de quoi manger dans les poubelles des fast-food lorsqu’ils oublient de les javelliser et j’ai même un toit pour dormir, même si c’est pas le grand luxe.

En me levant, je bu ce qu’il me restait de ma bière et la balançait par terre en rotant − un peu cliché, non ? − puis je commençais à marcher. J’avais pas particulièrement de but, mais un zonard que j’avais rencontré il y a longtemps m’avait dit de ne jamais m’arrêter de marcher, que si tu t’arrête tu gamberge, et si tu gamberge tu crève. Le pire, c’est que ce con avait raison. En plus, en étant debout au milieu des gens honnêtes, on a une meilleure vue sur leurs réactions. Les bourges méprisants, les mères qui éloignent leurs enfants en pensant être discrètes, les ados un peu con qui ricanent, les chiens de garde qui nous lâchent pas d’un œil. Moi qui ai toujours détesté être au centre des regards lorsque j’étais plus jeune, j’avais pas mal changé. Piercing, cheveux colorés à la coupe improbable, fringues en état approximatif − je vous ai demandé si je faisais cliché ?

Mais contrairement à ce que semble penser le peu de gens qui ont un tout petit peu d’empathie à mon égard, je l’ai choisi cette vie. Plus ou moins. Disons que je supporte assez mal les laisses, c’est ma race qui veut ça, il parait. Du coup la vie bien rangée c’est pas pour moi vu qu’à ce niveau, c’est plus une laisse mais une chaîne doublée d’un collier électrique. J’ai des coups de bâton ici aussi, mais j’arrive à en esquiver une partie, même s’ils se font plus réguliers et plus forts au fil du temps.


Le 25 Ventôse 227.

Reprise du 18 Floréal 228.

Là où les loups sont partis

Le soleil se levait lentement, commençant à baigner le temple dans sa lumière, tandis que des soldats lourdement armés l’encerclaient. Ils étaient bien plus nombreux que nécessaire mais l’Inquisition voulait être sûre de ne laisser aucune chance aux dissidents.

À l’intérieur, ces derniers se préparaient tant bien que mal au combat qui les attendait. Peu avaient déjà combattu dans leur vie, mais toutes et tous étaient prêt·e à sauter le pas aux coté de leur guide, Resla, l’une des seules louves de la meute à avoir un passé de combattante. Elle regardait autour d’elle tandis que le bélier se mettait à frapper la porte, elle était fière de sa meute, des loups pour l’essentiel, toutes unies face à la mort.

Les échos des assauts du bélier se répercutait dans tout l’édifice, du clocher à la crypte. Celle-ci abritait autre fois un saint de l’Église désormais oublié, elle ne contenait plus désormais que un autel de basalte servant aux cérémonies blasphématoire de ce que l’autorité papale considérait comme une secte.

Resla était en première ligne, non loin de son compagnon d’arme Ulric, le seul auroch du groupe et un des dernier de son espèce. Cette armée improvisée n’avait que des morceaux d’armure dépareillés et des armes récupérées ou volées. Les archers finissaient de se mettre en place lorsque la porte vola en éclats.

Une pluie de carreau s’abattit sur les loups, éclaircissant déjà leurs rangs, suivi de la charge des soldats de l’Inquisition. Les archers de Resla parvinrent à en toucher quelques uns avant que les deux groupes ne s’entrechoque et que le chaos ne règne sur le champ de bataille.

La guerrière trouva rapidement un adversaire, un cerf qui tentait de l’embrocher avec son espadon. D’un coup d’épée, elle dévia sa lame, celle-ci glissa le long se l’arme de son ennemi pour finalement venir se planter dans son ventre. Le soldat lâcha son épée et tenta de maintenir ses intestins en place tandis qu’il s’effondrait au sol.

Ulric dansais avec un loup de l’Inquisition, lui maniant la hache et son opposant l’épée courte. Ce dernier n’eût cependant pas l’occasion de danser longtemps, un moment d’hésitation permettant à l’auroch de lui ouvrir le crâne en deux d’un seul coup. Il s’écroula dans un gargouillis confus, le corps secoué de spasmes.

Resla était aux prises avec deux adversaires, elle semblait flotter tandis qu’elle s’approchait de l’un d’eux. Sa lame glissa sur son cou et le lui trancha, déclenchant un geyser sanglant. Il s’écroula, les deux mains sur la gorge en essayant vainement de réduire le flot qui jaillissait de sa blessure béante. La louve faisait désormais face à son deuxième ennemi. Elle était à l’affût, prête à sauter sur la moindre ouverture dans la garde de son adversaire, lorsqu’un renard sauta hors de la mêlée pour planter sa lame en travers de la gorge de la guerrière. Ses yeux s’écarquillèrent de surprise et du sang commença à couler de sa gueule. Lorsque le renard retira son épée, elle lâcha son arme et tomba à genoux. Un flot de sang jaillissant de son cou tandis qu’elle s’effondrait la tête la première contre la pierre froide.

Ulric rentra alors dans une rage destructrice et poussa un hurlement en chargeant le meurtrier de son amie, tranchant en deux ceux qui tentaient de se mettre en travers de sa route. Une fois à sa hauteur, il donna plusieurs coup de hache vers sa cible qui les esquiva avant de riposter d’un coup entre les côtes. La lame s’enfonça loin dans la chair, perforant les poumons et lacérant les viscères de l’auroch. Celui-ci trancha alors le bras de son assaillant, l’épée encore enfoncée dans le torse, avant de s’effondrer. Sa vision commença à se brouiller tandis qu’il voyait le goupil hurler de douleur à genoux, son bras ne tenant plus que par des lambeaux de chair. Il étouffait. Son sang envahissait ses poumons. Il se noyait. Sa vision s’assombrissait. Il se débattait pour avoir une bouffée d’air. Il perdit connaissance.

Personne parmi les hérétiques ne survécu à cette bataille. Les pertes de l’inquisition étaient ridicules comparée à l’annihilation de cette secte impie.

Le temple fut rapidement oublié de toutes, à l’exception de quelques rares adeptes ayant redécouvert la gloire de Lucifer et lui rendant hommage, à lui ainsi qu’aux louves du crépuscule ayant péri à l’aurore des générations auparavant.


Le 6 Vendémiaire 228.

Chien Errant : En suspens

Trigger Warning : Suicide


Il était assis là, sur le rebord de la baignoire, me surplombant, un cigare à la main et son cran d’arrêt posé à coté de lui. Il portait un vieux treillis et un t-shirt au nom d’un obscur groupe de musique. Ils avaient connu des jours meilleurs. Lorsqu’il portait le cigare à sa bouche, je ne pouvais me détourner de son œil droit. On aurait pu penser qu’une panthère avait tenté de le lui arracher. C’était peut-être vrai, je ne voulais pas savoir. Il était totalement blanc et je me demandais s’il y voyait quelque chose. Ses cheveux étaient noirs, coiffés en iroquoise et pris en tenaille entre ses deux longues cornes. Ou plutôt sa longue corne, celle de droite étant cassée. Tout en restant assis, il posa une de ses bottes sur le bord de la baignoire et se servi de son genou comme d’un accoudoir. Il souffla sa fumée pensivement.

« Dans un monde parfait, il n’y aurait plus tout ces politiciens corrompus, toutes ces corporations inhumaines, cette pauvreté omniprésente, ces guerres incessantes… Tous et toutes vivraient en harmonie, seraient unies. Plus de crime, ni de prison. »

Il se tourna vers moi.

« — Mais on sait tout deux que ce monde est impossible, Re-

— Astrid coupais-je.

— C’est ça, Astrid si tu veux. Toujours est-il que ce monde, notre monde, est pourri jusqu’à la moelle. Et tant que tu ne me laissera pas faire… »

Il me fixait intensément, il me semblait sentir le poids de l’univers sur ma cage thoracique à présent. Je tentais d’articuler une réponse :

« — Je ne pense pas…

— C’est ça, dit-il en m’interrompant, tu ne pense pas. Remarque c’est pas comme si t’agissais beaucoup non plus il me semble, si ? Putain mais t’as des convictions ou pas tafiole ! » rugit-il en se levant d’un bond.

Un silence de plomb suivi. Son expression changeât et il détourna le regard.

« Écoute, je… Je suis désolé… Fais ce que tu veux. J’en ai marre d’aller systématiquement contre tes idées. Marre de me battre contre toi. »

Il écrasât son cigare à coté de son couteau et se retourna.

« Alors, vas-y, dit-il en me tournant le dos. Libère-nous. »

Il sorti alors sans me laisser le temps de répondre, me laissant seul·e dans ma baignoire. Comme le Christ dans son Graal.


Le 27 Thermidor 227.

Chien Errant : Une vielle baraque

Cela faisait un moment que j’errais sans trop de but, si ce n’est de m’éloigner des villes, en pleine campagne. Au fil de mon errance, je me rendais compte que si par le passé les gens avaient été plus ouverts et accueillants ici, ce n’était clairement plus le cas. L’espèce de retour à la campagne des dernières années avait fait s’installer ici des gens habitués à la ville : irritables et irritants, arrogants et prétentieux, voulant tout sans rien donner en retour… Clairement le genre de personnes que je ne voulais plus jamais rencontrer de ma vie, c’était sans doute également le cas de ceux qui étaient nés ici et qui voyaient désormais tout étranger d’un très mauvais œil. Ce phénomène de retour à la campagne s’était estompé avec le temps, et la plupart de celleux qui était parti·es de la ville pour aller à la campagne avaient désormais fait leurs valises pour retourner dans leur habitat naturel, la plupart laissant leur maison à l’abandon, faute de pouvoir en tirer un bénéfice. Les originaires de la régions étaient parti en masse aussi, entre les jeunes qui partent faire leur études dans les grandes métropoles et les vieux qui finissent par mourir, peu de maisons restaient habitées finalement. Si on rajoute à la vague de connard, l’isolement, la « désertion » des jeunes et les discours médiatiques à base de grand méchant monde, on comprend mieux l’état d’esprit des gens. Mais ça reste mieux que la ville pour moi, et malgré tout j’arrivais quand même à manger un jour sur deux et à dormir au sec de temps en temps.

Mais l’errance finit par peser sur l’esprit de n’importe qui, même Diogène avait un « toit » sur la tête la nuit. J’aurais bien investit une des maisons abandonnée par les citadins mais aucune ne se prêtait à un projet pareil. Certaines étaient murées de par leurs propriétaires − histoire d’être sûres et certains que personne ne pourrait profiter de ce dont il n’ont plus rien à faire − mais la plupart étaient simplement tombées en ruine, construites à l’image de notre époque, rapidement et pour une durée très limitée. Seules restaient les anciennes habitations, prévues pour résister aux âges et à la météo. C’est l’une d’entre elle que je découvris alors que je suivais un sentier tellement délabré que même un tout-terrain aurait eu du mal à le suivre. Le chemin était long de presque un kilomètre et demi et débouchait sur une ancienne ferme. Composée d’une habitation principale et de plusieurs dépendances, comme une grange, une étable et un grand hangar pour les machines agricoles. Une grande prairie entourait le corps de ferme, elle même encerclée par une forêt relativement dense, uniquement éclaircie par le sentier qui m’avait mené ici. On aurait dit un lieu hors du temps et de l’espace, un havre de recueillement. Le soleil commençait à se coucher à l’horizon, laissant le feuillage des quelques arbres disséminés autour de la maison dessiner des ombres fluctuantes sur les murs de cette dernière. Les herbes hautes dansaient lentement, suivant le gré du vent. Je commençais à m’avancer lentement vers la maison.

Une fois devant la porte, je frappais pour signaler mon arrivée à d’éventuelles habitantes, au premier coup, elle se décrocha de ses gonds et tomba avec fracas au sol. Mon arrivée était signalée. L’intérieur de la bâtisse semblait à l’abandon depuis des années. Les tapisseries étaient décollées et rongées par la moisissure pour certaines, des toiles d’araignées avait envahis le sol et les plafonds et une couche de poussière impressionnante recouvrait l’intégralité des meubles. Je tendais tout de même l’oreille, tentant de repérer un mouvement quelconque dans la maison qui m’indiquerait la présence de quelqu’un. Rien, pas un bruit. J’avançais alors prudemment dans la maison, plongée dans la pénombre, éclairée par quelques rayons du soleil couchant qui parvenait à percer par les volets fermés. Je fis un tour rapide, tout semblait anachronique ici, les meubles en bois massif, les pièces haute de trois mètres pour gagner en luminosité, la bibliothèque remplie de vieux livres du siècle dernier… Même les appareils électronique semblait venir d’un antiquaire, des disquettes, un minitel, un poste de radio à lampe et une télévision cathodique. Ce n’était peut-être pas qu’une impression, cet endroit était bel et bien hors du temps, et depuis longtemps semblait-il.

Continuant mon exploration sommaire, je tombai sur la porte menant à la cave, je l’ouvris, laissant mes yeux s’habituer aux ténèbres présentes ici. Je descendis lentement et découvris plusieurs pièces, une salle de chauffage se servant apparemment encore de feu de bois pour chauffer la chaudière et un atelier relativement bien équipé au vu de ce que j’avais trouvé dans le reste de la maison. Je rentrais dans la dernière pièce lorsqu’un bruit attira mon attention sur ma droite, je me tournais immédiatement mais n’eut pas le temps de réagir et fut assaillit par l’un·e des locataires de l’endroit, visiblement en rogne après moi. Je tentais de me débattre de toute mes forces, ne comprenant pas vraiment ce qu’il se passait. Au bout de quelques secondes qui me parurent durer une éternité, mon assaillante stoppa son attaque et partit en direction de l’escalier menant au reste de la maison. Je la pris en chasse et montais les marches quatre à quatre pour tenter de la rattraper. En arrivant à la porte d’entrée, je vis trois silhouettes s’éloigner dans le ciel. Des chauves-souris. Sauvages, sans doute.

Je me senti un peu stupide d’avoir eu peur pour si peu et décidais de rester ici pour le moment, au moins pour la nuit. Je fermais la porte et plaçais la commode posée juste à coté devant elle, par précaution. J’avais déjà repéré où j’allais dormir dans la maison et montais à l’étage, dans une petite pièce où reposait seulement un ordinateur et un bureau. Elle avait un verrou à la porte et la présence de matériel électronique, aussi désué fut-il avait toujours eu un effet bénéfique sur ma psyché, surtout quand celui-ci ne risquait pas de m’espionner comme le matériel contemporain. De toutes façons, aucune chance que je ne mette ne serait-ce qu’une seule patte dans un des lits, vu la quantité de parasites et autres champignons qui devaient y avoir élu domicile. Et avec le bruit ambiant, je ne risquais pas de dormir beaucoup cette nuit. Je ne sais pas si l’endroit était maudit, mais entre la maison qui craquait sans arrêt et les animaux sauvages aux alentours qui se réveillaient durant la nuit, la nuit n’était pas des plus silencieuses. Ni des plus reposante, dormir dorme dans une maison immense, abandonnée au milieu de nulle part et totalement inconnue n’aide pas à trouver le sommeil. Mais au bout de quelques heures je tombais finalement dans un sommeil profond.


Le 3 Frimaire 227.