Annick et Pièr avaient toujours vécu ensemble dans la maison familiale, une grande ferme rouge, avec une petite terrasse qui courrait tout autour de la bâtisse, le tout dans un grand champ, sans voisins ou presque. Depuis la mort de leurs parents, la maison avait été officiellement léguée aux deux adelphes, mais, plutôt que de la vendre ou que l’un des deux rachète sa part à l’autre, iels avaient décidé de ne rien changer à leur vie et de tout simplement continuer de vivre ensemble, au moins pendant un temps.
Les années passèrent plus rapidement qu’iels ne l’auraient cru. Désormais, Annick avait fondé sa propre famille avec Damien, son mari, et ses deux enfants, Théo et Alaìs. De son coté Pièr avait consacré son temps à ses passions et à son travail, n’ayant pas de réel intérêt à la vie sentimentale. Il avait commencé sa lente progression dans l’industrie du divertissement, avec l’espoir d’un jour devenir un grand nom du spectacle, bien qu’il doive se contenter d’animer dans les fêtes d’anniversaires des villages alentours pour le moment. Lorsqu’il ne répétait pas pour ses spectacles, il réparait et bricolait ce qui lui tombait sous la main ou il observait les étoiles, espérant en découvrir une nouvelle un jour.
Dans l’ensemble la grande famille vivait dans une cohabitation paisible, Damien étant plus souvent à son épicerie qu’à la maison, c’était presque comme si rien n’avait changé pour eux. Pièr et Annick avaient toujours de longues discussions portant autant sur les nouvelles découvertes en astronomie que sur le meilleur argile qu’elle devrait utiliser pour sa dernière sculpture. Théo, qui avait maintenant presque dix ans commençait lui aussi à s’intéresser à la passion de son oncle pour le bricolage. Ils étaient souvent ensemble lorsque celui-ci tentait de faire à nouveau fonctionner le lave-vaisselle ou qu’il travaillait sur sa vielle voiture, persuadé de la voir redémarrer un jour. Il posait toujours plus de question et tentait de faire de son mieux pour aider son oncle malgré son manque d’expérience. Alaìs avait fêté ses quatre ans depuis peu, et elle passait l’essentiel de son temps à regarder sa mère travailler à ses poteries et ses sculptures ou à gambader dans la maison et le jardin sous la surveillance des deux adelphes.
Un jour, alors que Pièr tentait de repérer cette nouvelle étoile découverte il y a peu dont lui avait parlé Annick au repas du soir, il repéra tout autre chose. Une lumière furtive passa devant sa lunette, l’aveuglant quelques secondes. Il regarda autour de lui pour voir qui s’amusait à tenter de le rendre aveugle mais ne vit rien, si ce n’est la lumière distante des maisons voisines et quelques chauve-souris en train de chasser devant la maison. Il finit par reprendre sa recherche sur le télescope. Après une dizaine de minutes, il allait jeter l’éponge pour aujourd’hui lorsque, à nouveau, il vit une lumière dans le télescope, plus douce et plus lente. Il lui sembla discerner une forme ronde avant que cette vision ne disparaisse à nouveau. Il la chercha du regard mais ne vit rien d’autre que la nuit. En regardant à nouveau dans la lunette, aucune lumière, ni aucune étoile d’ailleurs, seulement un noir profond. Il entendit alors un bourdonnement, de plus en plus fort, jusqu’à en devenir presque assourdissant. À nouveau il leva les yeux de son télescope et resta médusé, incapable de croire à ce qu’il voyait. Au dessus de lui se tenait une énorme soucoupe, flottant dans le ciel et seulement éclairée par quelques lumières sur ses côtés. Elle était toute proche, à quelques dizaines de mètres tout au plus. Il eu l’impression de tomber, essaya de se rattraper à la rambarde derrière lui mais la rata et se rendit compte qu’il était en train de léviter à quelques centimètres au dessus de la terrasse. Il tenta de s’agripper à tout ce qui était à portée pour résister à cette force qui l’emportait loin du sol, mais ses mains ne refermèrent sur rien d’autre que de l’air. La force gagna en intensité et il fut happé par l’énorme forme sombre qui flottait au dessus de la maison.
Le lendemain, il se réveilla dans herbe derrière la maison, abasourdi. Il mit quelques minutes à comprendre ce qu’il faisait là et à se souvenir des évènements de la veille, il rentra alors dans la maison en courant, s’enferma à l’intérieur et passa le reste de la journée à tenter de rationaliser ce qu’il avait vu la veille.